Comment réfléchir aux questions éthiques, en particulier d’éthique médicale ? Les médecins évangéliques suisses (AGEAS et AMCR) m’ont demandé une contribution sur le thème des limites. C’est donc à partir de ce thème porteur que je suis parti en exploration.
Le travail qui m’était demandé touchait large, pas seulement la recherche médicale moderne. Il devait être une introduction à des ateliers sur la famille, l’écologie, l’éthique médicale, la relation au patient. Le thème de limites m’a conduit à revisiter la physique, Genèse1, le sabbat, la notion de péché et la manière dont on pouvait entrer en discussion de manière ouverte avec n’importe qui à partir de nos convictions. J’ai pris le temps de coucher par écrit cette exploration et je la mets en libre télécharhement ici. Dans ce qui suit je donne un résumé de son contenu. Le lien pour le téléchargement se trouve à la fin.
Pour résumer le propos de manière éthique j’ai, au final, dénoncé le refus des limites et l’imposition de fausses limites comme des expressions centrales de la tentation postmoderne. J’ai montré comment ces deux expressions sont deux faces de la même réalité par rapport à Dieu et la relation à la création.
J’ai commencé d’abord (chapitre 1) par poser la notion de limite, dans le contexte large qui m’était imposé, et puis j’ai fait le lien avec le serment d’Hypocrate et ses équivalents modernes, puisque je m’adressais à un auditoire de médecins.
Ensuite je me suis engagé dans un début de plaidoyer pour des limites claires et absolues en dénonçant une des formes du refus des limites qui est le relativisme moral. (Chapitre 2)
Or idéologiquement ce relativisme se pose parfois encore sur la démarche scientifique pour se justifier.
J’ai donc fermé la porte à cette démarche « pseudo-scientifique » au travers d’un détour par la physique. Contrairement à ce que l’on pense souvent, la relativité et les autres théories du 20ème n’encouragent pas du tout au relativisme mais sont basées sur des absolus, comme la vitesse de la lumière. Bien entendu il n’existe pas de passage immédiat entre l’absolu physique de la science et l’absolu moral de l’éthique. Mais l’analogie n’est pas sans fondation. Car il y a des liens entre le vrai et le bien, entre le réel donné « de nature » et l’action morale juste, contrairement à dissociation constante moderne entre les deux. Cette approche par la physique préparait le passage à la théologie de la création. Mais elle permettait aussi comme physicien EPFL de dire mon appréciation continuée de la science et ne pas être compris comme « antiscientifique ». Car dénoncer des excès d’une personne ne veut pas dire que l’on ne l’aime pas.
Ayant abordé la démarche scientifique de manière positive par la physique, sur un thème de limites, j’ai voulu ensuite rappeler les limites même de la connaissance scientifique (chapitre 3) et surtout dénoncer les idéologies qui veulent enfermer de manière totalitaire le tout de la connaissance dans la science (le scientisme) et réduire l’être humain à une partie de sa totalité (les réductionnismes si courants aujourd’hui) (Chapitre 3) . Le refus des limites s’associe à l’imposition de limites. D’un côté il y a le refus des limites absolues et de l’autre il y a une imposition dictatoriale de limites absolues fausses sur le réel. En particulier les dimensions relationnelles et spirituelles (relation à Dieu) de l’humain sont dévaluées ou niées et donc toute l’approche thérapeutique amputée et appauvrie. J’ai donc intitulé ce chapitre 3: « contre l’imposition de limites faussement absolues ».
Ayant ainsi abordé la question des limites dans ces deux grands axes de refus de bonnes limites et d’imposition de fausses limites, j’ai enfin plongé dans ce qui peut donner une vision holistique à tout le propos tenu jusque-là: la vision judéo-chrétienne du monde. Plutôt que de la présenter en termes connus j’ai voulu explorer quelques pistes nouvelles. Ainsi dans le chapitre 4 j’aborde Genèse 1, un texte fondateur de la vision judéo-chrétienne, à partir du langage de la séparation et de la connexion qui structure profondément les 6 jours.
L’intuition à la base est d’une part que Dieu veut et établit dans la création des séparations absolues: des réalités qu’il ne faut pas mélanger, confondre ou inverser. Donc des limites absolues à respecter. Et d’autre part Dieu établit des connexions entre réalités qui doivent être prises ensemble et pas dissociées ou réduites. Donc on y trouve le fondement du refus de réduire la réalité à une seule de des composantes. Ma réflexion ouvre sur l’écologique et, par analogie sur le médical. Les désordres viennent alors de la transgression de cet ordre créationnel, le refus soit des séparations soit des connexions. Il s’agit alors de l’entreprise humaine de mélanger ce qui ne doit pas l’être et de séparer ce qui devrait rester connecté. S’exprime dans ce mouvement ou bien le refus des limites absolues ou bien l’amputation dictatoriale de dimensions qui devraient rester connectées. La plupart du temps ces deux aspects se manifestent ensemble. J’ai choisi de passer par cette réflexion sur la création pour ancrer l’éthique des limites non pas sur un choix arbitraire ajouté après coup mais sur l’ordre même de la création, un ordre que Dieu a fait et voulu. Je pense que ce passage est aujourd’hui d’autant plus nécessaire que les possibilités techniques permettent de retoucher la création elle-même. Avec les possibilités du génie génétique on n’est plus dans la retouche esthétique (par chirurgie) de l’être humain mais dans sa modification de fond en comble. L’homme a les moyens bientôt de se recréer lui-même. Si on me permet la comparaison: avec le génie nucléaire on touchait aux énergies fondamentales de l’univers (E= mc2) qui génèrent les étoiles mais rendent aussi possible a destruction physique de la planète. Avec le génie génétique on touche au code fondamental de la vie (ADN) avec son possible et ses menaces terrifiantes. On touche aux réalités premières et fondamentales de la création. On ne le fait pas sortir le génie génétique de la boite sans danger énormes.
Ayant donc ancré la réalité bonne des limites dans la création de Dieu, il me semblait important de l’ancrer dans les dix commandements, expressions de limites et fondements universels de toute éthique. (Chapitre 5) Après l’universalité des dix paroles de la création, il y celles des dix commandements. Création et commandements sont en rapport. Les limites déplacées ou refusées sont mauvaises parce qu’elles détruisent l’ordre créé par Dieu qui seul est bon pour la vie. A ces commandements je n’ai fait qu’une introduction succincte pour justifier au moins la place importante qu’ils ont dans la bible. Car il me semble que même les chrétiens et certaines églises ne s’y penchent plus beaucoup. Comme si la loi était mauvaise et se réduisait au légalisme et à l’intolérance. Je finis ce chapitre 5 en proposant que c’est exactement le contraire: une absence de loi suscite la violence intolérante. La loi est bonne, structurante nécessaire, cadre pour l’éclosion et la protection de la vie.
Une approche complémentaire aurait pu être de montrer combien historiquement les dix commandements sont à la base des droits de l’homme. Ce serait une manière apologétique de les présenter à nos contemporains imbus de l’idée que le christianisme n’est qu’une morale dépassée.
Comme la tentation actuelle est si forte d’être comme des dieux qui fabriquent l’humain à leur image il fallait aussi revenir sur le mandat de domination que Dieu adresse à l’humain comme porteur de Son image. (Chapitre 6). On est vraiment dans les extrêmes! Il se trouve que le mandat de domination a été détourné de son sens biblique pour justifier toutes les formes de dominations qui tuent, comme si la terre était un objet mort à disposition, à consommer sans ménagement et jusqu’à l’épuisement et sans égard pour elle. Il y a là une vision à corriger impérativement et de manière urgente. En particulier la volonté du contrôle total de la terre est une arrogance démesurée, une violence contre Dieu et les hommes et la terre elle-même. Prendre le contrôle de l’ADN procède de la même racine. Il ne faut pas être aveugle sur ces points.
Après un trop court passage par le sabbat pour rappeler le DON de Dieu, et que la vie est un don de Dieu (Chapitre 7), il était l’heure de rassembler ce qui était dit sur les jeux pervers des humains avec les limites dans ce que Dieu appelle « péché » dans la Bible. (Chapitre 8). Le traitement choisi met en évidence le lien entre péché et limites.
Pour finir je voulais au moins entrer un peu sur le terrain concret de l’éthique en suggérant le début d’un parcours permettant le dialogue dans un climat pluraliste religieusement et philosophiquement. Il s’agit alors de reconnaître et de nommer à parti de la vision judéo-chrétienne les valeurs, les vertus et les enjeux auxquels nous voulons être particulièrement attentifs. (Chapitre 9)
Pour finir, je souhaitais évoquer la recherche médicale pour préparer les ateliers en éthique (Chapitre 10). Ce domaine n’est pas celui de mes formations. Il est pourtant passionnant. Et en même temps très effrayant. Il n’est jamais neutre éthiquement. Je devrais me contenter de l’évoquer en surface sous formes d’exemples. Il est au-delà des possibilités de cet écrit de traiter chaque point. Il faudrait pour cela avoir à disposition un jeu de questions éthiques à poser à chaque fois dans chaque domaine traité. Cela dépasse de loin le présent essai, même si c’est aussi un peu frustrant de s’arrêter là.
Pour finir, une fois arrivé au bout du chemin d’exploration, j’aurais presque envie de le récrire en faisant le trajet à l’envers. Je partirais des questions que posent les nouvelles techniques médicales pour, au travers de la révélation chrétienne trouver des orientations éthiques. Mais ce n’est pas ce qui m’avait été demandé, donc c’est pour une autre fois peut-être. Ce qui est écrit là maintenant, dans son état provisoire et limité, s’arrête ici.
Toute remarque de fond critique et constructive est bienvenue, particulièrement de la part de celles et ceux qui travaillent dans le monde de la santé: Merci d’avance.